Ninette, la cinquantaine aimable et
active, vient de s'installer au village. À côté de chez elle, une très grande
maison bâtie au milieu d'une pelouse. Derrière, plusieurs hangars plus ou moins
dissimulés par des arbres et un parc qui s'étend à perte de vue.
Ninette ne sait pas qui est propriétaire
de tout cela et elle n'a d'ailleurs jamais aperçu aucun habitant. Les voisins
n'en savent guère plus. Certains croient que… d'autres que… Bref, personne ne
sait !
Le 24 décembre, Ninette se lève de bonne
heure pour préparer son réveillon. Selon son habitude, elle regarde dehors. Mais
ce n'est pas la légère brume qui retient son attention. Non, c'est plutôt le
drôle de bonhomme vêtu d'un grand manteau rouge, portant un bonnet rouge et une
longue barbe blanche qui se hisse sur un traîneau tiré par neuf rennes et
débordant de paquets !
D'un coup, elle sait... Mais déjà, elle se
demande comment vivra cet homme, une fois la fête terminée.
Ninette semble énervée quand ses invités
arrivent pour le réveillon.
"Qu'est-ce qu'il y a Maman ?, lui dit
sa fille aînée. Tu sembles préoccupée. Tu es souffrante ?"
"Tu as reçu de mauvaises nouvelles de
marraine ?", poursuit son jeune fils.
"Non, juste un petit tracas. J'espère
que ce nouveau dessert vous plaira."
Et toute la petite famille semble croire le
mensonge. Le jour de Noël, Ninette ne peut s'empêcher d'épier régulièrement la propriété.
Aucun signe de vie ne s'y manifeste. Elle en est fort perturbée.
Toute la semaine, Ninette guette. Rien,
elle ne voit rien ! Le 31 après-midi, Ninette décide qu'elle saura de quoi il
retourne ! Il y va de sa santé mentale et de son sommeil !
Elle s'habille joliment, prend une
bouteille de champagne, franchit la barrière de la propriété et, le cœur
battant, elle sonne à la porte du manoir.
Un homme encore jeune, d'une trentaine
d'années, roux, les cheveux coupés à la brosse, vêtu d'un costume sombre et
d'une chemise blanche lui ouvre.
Ninette se présente : "Bonjour. Je
m'appelle Ninette Dubois, votre voisine de gauche. Je vous souhaite une
heureuse fin d'année et me permets de vous offrir cette bouteille. Si vous
aviez besoin de quelque chose, n'hésitez pas, je suis souvent chez moi."
L'homme répond : "Moi, c'est
Archibald Noël. Merci pour vos vœux. N'hésitez pas non plus en cas de problème,
je suis moi aussi fort casanier. Puis-je vous offrir un café ou un thé ?"
Curiosité quand tu nous tiens ! Ninette
accepte…
Ninette entre dans le vaste hall, puis
dans l'immense séjour aux fauteuils confortables. Aux murs, des portraits
d'hommes roux, costauds, en costumes plus ou moins démodés. Les aïeux
d'Archibald sans doute ! Concentrée sur tout autre chose, Ninette ne pourrait
dire si le café est bon ou pas. Elle prétexte un besoin pressant pour demander
où se trouvent les toilettes. "C'est tout au bout du corridor. En passant
devant les portes ouvertes, Ninette en profite pour jeter un coup d'œil dans la
cuisine et dans un bureau spacieux aux murs couverts d'armoires gigantesques. Tout
semble parfaitement classique dans cette superbe demeure où Archibald semble
vivre comme vivent encore les lords anglais.
En se rasseyant, Ninette aperçoit par la porte-fenêtre
deux petits hommes qui transportent une énorme caisse. Elle n'en croit pas ses
yeux !
"Ça va, Ninette ? lui demande
Archibald. Vous vous êtes perdue ? Comme tous les visiteurs d'ailleurs ! Ce
corridor est décidément trop long !"
"Ça va, ça va. Je me demandais si
vous entreteniez seul cette grande bâtisse."
Archibald sourit.
"Vous, vous êtes un peu curieuse !"
Le temps s'écoule. Après le café, Archibald
propose un doigt de vieux porto et la conversation se poursuit agréablement.
Ninette rentre chez elle, téléphone à son
fils et lui demande d'acheter une excellente paire de jumelles. Le lendemain,
elle est à sa fenêtre avec son nouveau jouet…
Depuis, elle ne peut s'empêcher de guetter
régulièrement des signes de vie en provenance du manoir. Il lui arrive de
s'installer des matinées entières à la lucarne du grenier dans l'espoir de
revoir les petits hommes. En vain.
Au printemps, elle va sonner à la porte du
manoir et demande à Archibald de venir l'aider à déplacer un lourd bahut. Il
vient, fait ce qu'il a à faire et repart aussitôt.
Les semaines s'écoulent… Ninette est
désespérée, persuadée que ses questions à propos d'Archibald resteront sans
réponses. Un faible espoir naît parfois quand elle entend des bruits provenant
des environs. Mais n'est-ce pas là un de ses effets de son imagination ?
Au début de l'été, Ninette invite Archibald
pour le goûter. Archibald accepte et l'après-midi passe tellement vite…
Après son départ, Ninette remarque un petit
carnet sur le tapis du salon. Il doit être tombé de la poche de son visiteur !
Sur la couverture deux simples lettes "MA". La tentation est trop
forte, elle ne peut s'empêcher de regarder... Rien que des commandes : des
jouets, des livres, des vêtements, des peluches,… répertoriées selon les noms
de rue d'une ville dont le nom commence par "MA".
Ninette prend conscience qu'Archibald
travaille durement toute l'année pour parvenir à satisfaire petits et grands un
certain jour de décembre. Elle se dit que des carnets semblables à celui-là,
Archibald doit en avoir des milliers ! Ah, si elle avait pu ouvrir une des
fameuses armoires du bureau !
Moi qui habite Marcinelle, j'aimerais
aussi en savoir plus…