Ce conte vient de recevoir le prix du public et le 5e prix du jury du concours "La Belgique sera conte"
"C’était un petit royaume, un pays de gaufres et de babeluttes, de chocolat et de boulets sauce lapin, de waterzooi et de bières, de genièvres et de kermesses. C’était un petit pays mais il est devenu si petit, qu’il a fini par ne plus exister. S’il est devenu si petit, c’est qu’il était de plus en plus triste, le petit royaume. Il avait rétréci à force de querelles, à force de larmes. On l’avait blessé, on avait tiré sur lui à hue et à dia. C’est ce que ma maman me racontait, mon poussin. On y parlait une drôle de langue, paraît-il. Enfin, le plus souvent on n’y utilisait pas une vraie langue, une de celle qui peut s’étudier à l’école. Non, on s’y exprimait volontiers en utilisant des mots venus de dialectes. Il fallait être né là-bas pour comprendre la signification de certains mots.
C’était un petit pays peuplé de gens chaleureux, qui avaient le cœur sur la main et le verbe haut. Et puis, il y avait des géants qui sortaient lors des défilés, les carillons qui sonnaient régulièrement et les fanfares. Ah, les fanfares… Il paraît que c’était si gai de marteler les pavés au rythme des musiques de fanfares ! Moi, hélas, je n’ai pas connu tout cela…Dans ce pays, on aimait aussi se rassembler pour des processions et des marches militaires, enfin on adorait les cortèges de tous les genres comportant des personnages plus ou moins historiques. Ce sont des choses révélées par Bobonne. Et Bobonne, elle en connaissait des histoires ! Un petit verre d’élixir, ça leur donnait du cœur à l’ouvrage aux gens du petit pays. Quand Bobonne est morte, on a retrouvé dans son cellier de ces bouteilles d’élixir. Je peux t’avouer que j’y ai goûté et que c’était bon. Maintenant, ils ont presque tous disparu. Plus assez de ventes sans doute. L’union faisait la force de ces gens. Plus d’union, moins de commerce. Là, je risque de t’embêter. Les considérations économiques, c’est pas pour les gamins. Maintenant, il faut dormir, mon poussin."
La grand-mère remonte la couverture sur le petit lit d’enfant. L’enfant ferme les yeux… Il voit des princesses portant des robes de soie, de taffetas, de satin. Il voit des princes vêtus de velours. Il voit des carrousels, des baraques à frites et à beignets. Il sent de chaudes odeurs de pâtisserie. Il entend jouer du tambour et des cuivres, il entend des chansons. Il voit des couples qui dansent, des enfants qui jouent à cache-cache et à colin-maillard. Il voit une grande table garnie de mets dorés qui paraissent délicieux mais qu’il ne connaît pas. Il voit des grands hommes et de grandes femmes qui se dandinent. Mais il ne comprend rien à ce qui se dit. Qu’importe, ce qui compte c’est l’ambiance, la joie de vivre.
L’enfant rêve. Le lendemain, il s’éveille : "Dis, Mamy, ce petit royaume, c’était un royaume des fêtes. J’ai vu les habitants. Ils défilaient en costumes rigolos, ils riaient, ils valsaient en disant des mots que je ne comprenais pas. J’ai entendu qu’on y commandait à des marchands ambulants : des lacments, des pains à la grecque, des croustillons, des caricoles. C’était bizarre."
"Mais, mon poussin, de quel pays parles-tu ?"
"Du petit royaume dont tu as parlé, Mamy. Un petit pays où on s’amusait, où l’on trinquait avec ses voisins. Le petit royaume où il faisait bon vivre."
"N’en parle plus, mon poussin. Ça fait pleurer ceux qui l’ont déjà entendu évoquer. Vois-tu, on a perdu les recettes, toutes les recettes et pas seulement celles de cuisine. Ne dis rien à tes parents. Ils se fâcheraient s’ils savaient que je t’en ai parlé et que je te l’ai décrit. Ce petit royaume, il faut l’oublier. Je t’ai raconté cela parce que j’étais à court d’histoires, hier soir. Oublie ce que j’ai dit."
Chaque nuit l’enfant rêve du petit pays comme d’autres enfants rêvent de trains électriques, de vélos rouges ou de poupées qui marchent. Chaque nuit, un rêve différent. Il visite un petit royaume dont les façades des maisons sont garnies, selon les saisons, de spéculoos gigantesques, de fraises de Wépion, d’asperges de Malines, de cerises, de poires. Des douceurs accrochées aux briques comme autant de bijoux. Les gosses s’en délectent sans arrière pensée.
Chaque jour, l’enfant dessine ce qu’il se souvient avoir rêvé du petit royaume. Ses crayons de couleur courent sur les grandes feuilles de papier blanc.
L’enfant dessine des maisons aux fenêtres garnies de rideau, des autoroutes illuminées, des cours d’eau paisibles et des gens qui circulent à bicyclette, des beffrois, des places pittoresques, des forêts et des canaux, des gens qui parlent beaucoup avec les mains, des géants qui avancent paresseusement et des jaquemarts qui martèlent les heures. Pour l’enfant, le petit royaume c’est celui des plaisirs, des musiques joyeuses.
Chaque soir, quand l’enfant s’est assoupi, la vieille femme cache les dessins qu’il a faits durant la journée. Il ne faut surtout pas que les parents du petit, à leur retour de voyage, voient ces dessins. S’ils voyaient, ils comprendraient. S’ils comprenaient, ils dénonceraient peut-être la grand-mère aux autorités !
Et puis, un jour, l’enfant dessine sur la terrasse et son dessin à peine achevé s’envole suite à un simple souffle de vent. L’enfant a eu beau courir à sa poursuite, tendre la main vers lui, il n’a rien pu faire pour le retenir. Très vite, le dessin a pris de l’altitude. Alors l’enfant en a refait un autre qui aussitôt terminé s’est envolé lui aussi. Puis il a fait un troisième, un quatrième… Ils ont tous pris la voie des airs.
Le premier dessin, un dessin sur lequel des enfants jouaient au ballon au bord d’une plage, a traversé le ciel comme un oiseau et est allé atterrir à l’orée d’un bois. Le second qui représentait une forêt de conifères où couraient des chiens et des gamins, s’est déposé sur le brise-lames d’une plage. Le troisième, celui d’une place rectangulaire aux bâtiments gothiques, est arrivé sur un terril. Le quatrième, celui d’un carnaval aux gilles colorés, est venu se poser dans un port, le long d’un grand fleuve.
Et des promeneurs les ont ramassés, ces dessins. Et des vieux ont vu les dessins et se sont souvenus du temps où le petit royaume existait. L’un ou l’autre a pensé que c’étaient des œuvres oubliées de Brueghel l’Ancien. L’un ou l’autre a pensé à un aïeul qui était venu d’une région éloignée du petit royaume pour se marier dans une autre région ou pour y fonder une entreprise. Cela expliquait les noms du sud qu’on retrouvait au nord et les noms du nord qu’on retrouvait au sud. Mais chut, il ne fallait rien en dire, sinon on risquait des problèmes. Ils en ont donc parlé entre eux dans l’intimité d’un salon, dans des maisons aux portes fermées et aux volets clos. Ici et là, partout sur le territoire de l’ancien petit royaume, des gens ont eu la même idée, celle de ranimer quelque chose du petit pays.
Certaines parmi ces personnes sont tombées malades. C’était la nostalgie et la langueur qui les tenaillaient. D’autres ont voulu faire quelque chose pour que les malades guérissent. Ils n’ont envisagé qu’un remède à ce mal-là : mettre tout en œuvre pour que le petit royaume ressuscite.
Alors, ils ont cherché dans des greniers des souvenirs du temps où le petit royaume existait encore. Dans le tréfonds des greniers, on en découvre des choses. Des recettes de coucous de Malines, d’escavêches de Chimay, de spantôles de Thuin, de choesels de Bruxelles, de potjesvlees de Furnes, de lierse vlaaikens, de couques, de tartes au riz-macaron de Liège. C’est autre chose que des hamburgers, des sandwichs garnis ou des steaks. Rien qu’à lire les recettes, on salive par avance.
On en voit aussi des vieilles images dans le fond du fond de certains greniers. Vieilles photos de vacances à la Côte, de balades dans les Fagnes. On retrouve des lettres du temps où l’on pouvait communiquer entre les régions sans crainte de représailles. Dans des malles, on a retrouvé de vieux habits mangés par les mites. Des habits de marcheurs, de chinels, de pénitents. Des déguisements utilisés lors de cortèges folkloriques. Rien que des pages, des photos jaunies, des habits troués mais quelles pages, quelles photos, quels habits !
Un souvenir en amenant un autre, on s’est souvenu d’une vieille baraque remisée dans un vieux hangar. On l’a retapée, on l’a ressortie. Elle portait des inscriptions bilingues qu’on s’est empressé de camoufler. Un vieux a dit que c’était une baraque du temps où les forains voyageaient dans tout le petit royaume. Ils allaient de kermesse en kermesse mais chut, ça c’est un secret comme un secret de famille dont la pensée vous effleure, un secret que beaucoup connaissent qu’il faut pourtant se garder de divulguer. Ça ne se dit pas non plus qu’autrefois dans le petit royaume, on voyageait librement, du nord au sud, qu’on utilisait partout la même monnaie, qu’on avait des héros en commun, qu’on buvait les mêmes bières, qu’on écoutait les mêmes carillons. Toutes ces choses qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Chut, chut. Motus et bouche cousue.
Des baraques cachées, il y en avait beaucoup dans l’ex petit royaume. L’envie de les ressortir était là. Et une envie, c’est comme une démangeaison, il faut s’en débarrasser… Alors, ici et là, au sud comme au nord, à l’ouest comme à l’est, on a organisé des fêtes foraines qui rendaient la mémoire aux plus anciens. On a vu des galopants qui diffusaient des musiques entraînantes, des sortes de caravanes garnies de miroirs où des inscriptions bilingues annonçaient des produits de bouche. La pluie et le vent s’étaient bien vite chargés de faire réapparaître les fameuses inscriptions.
On a sorti des géants poussiéreux. On les a baladés en différents lieux. Des défilés, il y en a eu de tous côtés, de plus en plus étoffés. On a ressorti les marionnettes. Parfois on ne comprenait pas grand chose au spectacle mais un coup d’épée est un coup d’épée, un bisou est un bisou et une chute fait toujours rire. On a entendu la musique de fanfares, celle des grelots et des apertintailles.
Le petit royaume n’était plus mais pareils à des bulles dans un verre de champagne, apparaissaient çà et là d’anciennes coutumes…
Un jeune et beau prince un peu triste, qui vivait au-delà de la mer, a entendu parler de tout cela. Cela lui rappelle quelque chose de l’histoire de sa famille. Il s’informe auprès d’historiens réputés et propose aussitôt ses services pour rétablir le petit royaume. Tout à l’euphorie de retrouvailles possibles, les habitants de l’ancien petit royaume l’acceptent comme souverain. Ainsi les désirs du peuple se révèlent-ils plus forts que les lois mises en place. Le jeune prince devenu roi, épouse une fort jolie princesse à peine sortie de l’adolescence. On festoie durant des jours et des jours. On embrasse des inconnus dont on ne saisit pas les propos, on danse avec eux. L’essentiel est de s’amuser, de faire bombance.
La vie d’avant, celle d’avant les querelles, reprend. Voyez-vous, mon petit doigt me dit que les gens de ce petit pays sont, malgré tout, restés friands de compromis, de fêtes et de bonne chère.
Mais, comme disait Kipling, ceci est une autre histoire…
"C’était un petit royaume, un pays de gaufres et de babeluttes, de chocolat et de boulets sauce lapin, de waterzooi et de bières, de genièvres et de kermesses. C’était un petit pays mais il est devenu si petit, qu’il a fini par ne plus exister. S’il est devenu si petit, c’est qu’il était de plus en plus triste, le petit royaume. Il avait rétréci à force de querelles, à force de larmes. On l’avait blessé, on avait tiré sur lui à hue et à dia. C’est ce que ma maman me racontait, mon poussin. On y parlait une drôle de langue, paraît-il. Enfin, le plus souvent on n’y utilisait pas une vraie langue, une de celle qui peut s’étudier à l’école. Non, on s’y exprimait volontiers en utilisant des mots venus de dialectes. Il fallait être né là-bas pour comprendre la signification de certains mots.
C’était un petit pays peuplé de gens chaleureux, qui avaient le cœur sur la main et le verbe haut. Et puis, il y avait des géants qui sortaient lors des défilés, les carillons qui sonnaient régulièrement et les fanfares. Ah, les fanfares… Il paraît que c’était si gai de marteler les pavés au rythme des musiques de fanfares ! Moi, hélas, je n’ai pas connu tout cela…Dans ce pays, on aimait aussi se rassembler pour des processions et des marches militaires, enfin on adorait les cortèges de tous les genres comportant des personnages plus ou moins historiques. Ce sont des choses révélées par Bobonne. Et Bobonne, elle en connaissait des histoires ! Un petit verre d’élixir, ça leur donnait du cœur à l’ouvrage aux gens du petit pays. Quand Bobonne est morte, on a retrouvé dans son cellier de ces bouteilles d’élixir. Je peux t’avouer que j’y ai goûté et que c’était bon. Maintenant, ils ont presque tous disparu. Plus assez de ventes sans doute. L’union faisait la force de ces gens. Plus d’union, moins de commerce. Là, je risque de t’embêter. Les considérations économiques, c’est pas pour les gamins. Maintenant, il faut dormir, mon poussin."
La grand-mère remonte la couverture sur le petit lit d’enfant. L’enfant ferme les yeux… Il voit des princesses portant des robes de soie, de taffetas, de satin. Il voit des princes vêtus de velours. Il voit des carrousels, des baraques à frites et à beignets. Il sent de chaudes odeurs de pâtisserie. Il entend jouer du tambour et des cuivres, il entend des chansons. Il voit des couples qui dansent, des enfants qui jouent à cache-cache et à colin-maillard. Il voit une grande table garnie de mets dorés qui paraissent délicieux mais qu’il ne connaît pas. Il voit des grands hommes et de grandes femmes qui se dandinent. Mais il ne comprend rien à ce qui se dit. Qu’importe, ce qui compte c’est l’ambiance, la joie de vivre.
L’enfant rêve. Le lendemain, il s’éveille : "Dis, Mamy, ce petit royaume, c’était un royaume des fêtes. J’ai vu les habitants. Ils défilaient en costumes rigolos, ils riaient, ils valsaient en disant des mots que je ne comprenais pas. J’ai entendu qu’on y commandait à des marchands ambulants : des lacments, des pains à la grecque, des croustillons, des caricoles. C’était bizarre."
"Mais, mon poussin, de quel pays parles-tu ?"
"Du petit royaume dont tu as parlé, Mamy. Un petit pays où on s’amusait, où l’on trinquait avec ses voisins. Le petit royaume où il faisait bon vivre."
"N’en parle plus, mon poussin. Ça fait pleurer ceux qui l’ont déjà entendu évoquer. Vois-tu, on a perdu les recettes, toutes les recettes et pas seulement celles de cuisine. Ne dis rien à tes parents. Ils se fâcheraient s’ils savaient que je t’en ai parlé et que je te l’ai décrit. Ce petit royaume, il faut l’oublier. Je t’ai raconté cela parce que j’étais à court d’histoires, hier soir. Oublie ce que j’ai dit."
Chaque nuit l’enfant rêve du petit pays comme d’autres enfants rêvent de trains électriques, de vélos rouges ou de poupées qui marchent. Chaque nuit, un rêve différent. Il visite un petit royaume dont les façades des maisons sont garnies, selon les saisons, de spéculoos gigantesques, de fraises de Wépion, d’asperges de Malines, de cerises, de poires. Des douceurs accrochées aux briques comme autant de bijoux. Les gosses s’en délectent sans arrière pensée.
Chaque jour, l’enfant dessine ce qu’il se souvient avoir rêvé du petit royaume. Ses crayons de couleur courent sur les grandes feuilles de papier blanc.
L’enfant dessine des maisons aux fenêtres garnies de rideau, des autoroutes illuminées, des cours d’eau paisibles et des gens qui circulent à bicyclette, des beffrois, des places pittoresques, des forêts et des canaux, des gens qui parlent beaucoup avec les mains, des géants qui avancent paresseusement et des jaquemarts qui martèlent les heures. Pour l’enfant, le petit royaume c’est celui des plaisirs, des musiques joyeuses.
Chaque soir, quand l’enfant s’est assoupi, la vieille femme cache les dessins qu’il a faits durant la journée. Il ne faut surtout pas que les parents du petit, à leur retour de voyage, voient ces dessins. S’ils voyaient, ils comprendraient. S’ils comprenaient, ils dénonceraient peut-être la grand-mère aux autorités !
Et puis, un jour, l’enfant dessine sur la terrasse et son dessin à peine achevé s’envole suite à un simple souffle de vent. L’enfant a eu beau courir à sa poursuite, tendre la main vers lui, il n’a rien pu faire pour le retenir. Très vite, le dessin a pris de l’altitude. Alors l’enfant en a refait un autre qui aussitôt terminé s’est envolé lui aussi. Puis il a fait un troisième, un quatrième… Ils ont tous pris la voie des airs.
Le premier dessin, un dessin sur lequel des enfants jouaient au ballon au bord d’une plage, a traversé le ciel comme un oiseau et est allé atterrir à l’orée d’un bois. Le second qui représentait une forêt de conifères où couraient des chiens et des gamins, s’est déposé sur le brise-lames d’une plage. Le troisième, celui d’une place rectangulaire aux bâtiments gothiques, est arrivé sur un terril. Le quatrième, celui d’un carnaval aux gilles colorés, est venu se poser dans un port, le long d’un grand fleuve.
Et des promeneurs les ont ramassés, ces dessins. Et des vieux ont vu les dessins et se sont souvenus du temps où le petit royaume existait. L’un ou l’autre a pensé que c’étaient des œuvres oubliées de Brueghel l’Ancien. L’un ou l’autre a pensé à un aïeul qui était venu d’une région éloignée du petit royaume pour se marier dans une autre région ou pour y fonder une entreprise. Cela expliquait les noms du sud qu’on retrouvait au nord et les noms du nord qu’on retrouvait au sud. Mais chut, il ne fallait rien en dire, sinon on risquait des problèmes. Ils en ont donc parlé entre eux dans l’intimité d’un salon, dans des maisons aux portes fermées et aux volets clos. Ici et là, partout sur le territoire de l’ancien petit royaume, des gens ont eu la même idée, celle de ranimer quelque chose du petit pays.
Certaines parmi ces personnes sont tombées malades. C’était la nostalgie et la langueur qui les tenaillaient. D’autres ont voulu faire quelque chose pour que les malades guérissent. Ils n’ont envisagé qu’un remède à ce mal-là : mettre tout en œuvre pour que le petit royaume ressuscite.
Alors, ils ont cherché dans des greniers des souvenirs du temps où le petit royaume existait encore. Dans le tréfonds des greniers, on en découvre des choses. Des recettes de coucous de Malines, d’escavêches de Chimay, de spantôles de Thuin, de choesels de Bruxelles, de potjesvlees de Furnes, de lierse vlaaikens, de couques, de tartes au riz-macaron de Liège. C’est autre chose que des hamburgers, des sandwichs garnis ou des steaks. Rien qu’à lire les recettes, on salive par avance.
On en voit aussi des vieilles images dans le fond du fond de certains greniers. Vieilles photos de vacances à la Côte, de balades dans les Fagnes. On retrouve des lettres du temps où l’on pouvait communiquer entre les régions sans crainte de représailles. Dans des malles, on a retrouvé de vieux habits mangés par les mites. Des habits de marcheurs, de chinels, de pénitents. Des déguisements utilisés lors de cortèges folkloriques. Rien que des pages, des photos jaunies, des habits troués mais quelles pages, quelles photos, quels habits !
Un souvenir en amenant un autre, on s’est souvenu d’une vieille baraque remisée dans un vieux hangar. On l’a retapée, on l’a ressortie. Elle portait des inscriptions bilingues qu’on s’est empressé de camoufler. Un vieux a dit que c’était une baraque du temps où les forains voyageaient dans tout le petit royaume. Ils allaient de kermesse en kermesse mais chut, ça c’est un secret comme un secret de famille dont la pensée vous effleure, un secret que beaucoup connaissent qu’il faut pourtant se garder de divulguer. Ça ne se dit pas non plus qu’autrefois dans le petit royaume, on voyageait librement, du nord au sud, qu’on utilisait partout la même monnaie, qu’on avait des héros en commun, qu’on buvait les mêmes bières, qu’on écoutait les mêmes carillons. Toutes ces choses qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Chut, chut. Motus et bouche cousue.
Des baraques cachées, il y en avait beaucoup dans l’ex petit royaume. L’envie de les ressortir était là. Et une envie, c’est comme une démangeaison, il faut s’en débarrasser… Alors, ici et là, au sud comme au nord, à l’ouest comme à l’est, on a organisé des fêtes foraines qui rendaient la mémoire aux plus anciens. On a vu des galopants qui diffusaient des musiques entraînantes, des sortes de caravanes garnies de miroirs où des inscriptions bilingues annonçaient des produits de bouche. La pluie et le vent s’étaient bien vite chargés de faire réapparaître les fameuses inscriptions.
On a sorti des géants poussiéreux. On les a baladés en différents lieux. Des défilés, il y en a eu de tous côtés, de plus en plus étoffés. On a ressorti les marionnettes. Parfois on ne comprenait pas grand chose au spectacle mais un coup d’épée est un coup d’épée, un bisou est un bisou et une chute fait toujours rire. On a entendu la musique de fanfares, celle des grelots et des apertintailles.
Le petit royaume n’était plus mais pareils à des bulles dans un verre de champagne, apparaissaient çà et là d’anciennes coutumes…
Un jeune et beau prince un peu triste, qui vivait au-delà de la mer, a entendu parler de tout cela. Cela lui rappelle quelque chose de l’histoire de sa famille. Il s’informe auprès d’historiens réputés et propose aussitôt ses services pour rétablir le petit royaume. Tout à l’euphorie de retrouvailles possibles, les habitants de l’ancien petit royaume l’acceptent comme souverain. Ainsi les désirs du peuple se révèlent-ils plus forts que les lois mises en place. Le jeune prince devenu roi, épouse une fort jolie princesse à peine sortie de l’adolescence. On festoie durant des jours et des jours. On embrasse des inconnus dont on ne saisit pas les propos, on danse avec eux. L’essentiel est de s’amuser, de faire bombance.
La vie d’avant, celle d’avant les querelles, reprend. Voyez-vous, mon petit doigt me dit que les gens de ce petit pays sont, malgré tout, restés friands de compromis, de fêtes et de bonne chère.
Mais, comme disait Kipling, ceci est une autre histoire…
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