Voici donc le conte que j'ai défendu hier à Surice et si je n'ai pas gagné, je n'en suis pas moins fière que ce beau texte ait été sélectionné...
Un peu de terre
Massimo triture le tablier de sa grand-mère entre ses mains. Il tente en vain de retenir ses larmes. Il articule : "Tu viendras nous voir en Belgique, Nonna ? Tu viendras dis ?"
"Mais oui, mon trésor…" Massimo est partagé. D'un côté, il est heureux de revoir bientôt son père qui, depuis des mois, est parti travailler loin du village, dans un pays du nord. Mais d'un autre côté, il est tellement triste d'être séparé de sa grand-mère. Cela lui est si dur de se dire qu'il ne la verra plus, qu'elle ne le consolera plus de ses petits malheurs, qu'elle ne rira plus avec lui. A qui se confiera-t-il encore ? Sa mère ne semble remarquer que les bêtises qu'il peut commettre…"Tiens-toi droit", "écris plus petit", "mouche-toi". Sa mère n'est vraiment tendre que lorsqu'il est malade. Elle passe alors la main sur son front, le frictionne avec de l'eau de Cologne, le cajole en murmurant des mots gentils. "Ça va ma puce ?", "Tu veux quelque chose de spécial ? »
Nonna se penche vers lui : "Et n'oublie pas ce que je t'ai donné… La petite boîte."
"Oui Nonna…"
"Maintenant va, ta mère doit t'attendre."
Massimo rejoint sa mère dans la petite maison voisine. Elle est occupée à remplir une valise avec des robes, des tabliers, des pyjamas, des chemises de nuit, des culottes, des pulls… "Prépare ce que tu veux emporter, Massimo."
Massimo va dans le jardin. Aujourd'hui, le ciel est gris comme le sont ses pensées. Massimo sort la petite boîte bleue de sa poche et de ses mains nues fait ce que sa grand-mère lui a dit, il remplit la boîte de terre. La terre lui apparaît chaude, douce, maternelle. C'est la première fois de sa vie qu'il connaît ce contact. Massimo regarde longuement la terre avant de placer le couvercle et de fourrer cette petite chose bleue, ultime présent de sa grand-mère, en poche.
"Massimo, Massimo…"
"Oui Maman…"
"Seigneur, où t'es-tu encore sali ainsi !"
Massimo ne répond pas. Il va dans sa chambre, y prend le petit personnage de bois et la balle à peine plus grosse qu'un citron que lui a offerts sa grand-mère, quelques livres et va porter le tout à sa mère.
En fermant la grosse valise, sa mère chante, elle ne pense sans doute qu'à son père et à la jolie maison qu'il a louée là-bas. Son père a écrit : "Marie, la vieille propriétaire, est très gentille, elle m'a aidé à aménager. Elle est si heureuse de louer une partie de son habitation à un jeune couple avec enfant. Il y a un magasin et une école près de chez nous, un jardin derrière. J'ai eu de la chance."
Massimo part. Durant le voyage en train, pour se réconforter, il lui arrive de mettre la main en poche et d'effleurer la boîte. Quand ses doigts rencontrent le métal, il se sent moins seul, plus fort, moins inquiet à l'idée d'affronter l'inconnu. Enfin, il retrouve son père. Il voit la jolie maison, pas si jolie que ça, Marie, la propriétaire, plus ridée qu'il ne l'imaginait. Il voit l'école, l'épicerie. Mais Marie même si elle lui sourit et dit quelques mots en italien, n'a pas l'odeur de savonnette de sa grand-mère. Le ciel est bas, les enfants du quartier ne parlent pas sa langue. Marie, c'est une institutrice retraitée, elle l'embrasse trop fort, le réprimande parfois comme sa mère le fait et elle s'efforce de lui apprendre le français en lui lisant des livres de filles. Marie, elle ne connaît rien au football ni aux jeux de garçon !
Sa mère passe beaucoup de temps à confectionner des vêtements sur une machine à coudre prêtée par Marie. Sa mère semble contente. Elle gagne de l'argent et essaye de lire la bible en français pour tester ses progrès. Elle attend un bébé.
À l'école, il y a des enfants qui le traitent parfois de "macaroni" et il ne sait quoi répondre. Il n'est pas aussi fort que Gino qui a frappé un gamin qui l'avait appelé ainsi ni aussi mignon que Rosa qui trouve toujours une autre fille pour la consoler.
Parfois, Massimo a le cœur gros mais il n'en dit rien. Seule, sa petite boîte bleue lui apporte un peu de baume quand il a la nostalgie du pays. Il lui arrive alors de l'ouvrir et d'embrasser la terre comme s'il embrassait sa Nonna.
Pour Noël, Massimo envoie à sa grand-mère une enveloppe qui contient dans une feuille pliée en trois, un peu de terre de Belgique et des pâquerettes séchées. Sa grand-mère lui répond. Elle a simplement calligraphié : "Tu m'as écrit de là où la terre fait souffrir mais rend riches les hommes qui la travaillent. Moi, je t'écris d'ici où la terre pleure de n'avoir pu nourrir ses enfants. Un jour tu comprendras, mon trésor." Il n'a pas vraiment saisi tout le sens du message mais il a épinglé la lettre sur le mur de sa chambre.
Le temps passe. Nonna écrit de moins en moins souvent, son écriture est moins lisible. Le bébé est bien là, bientôt, il marche et commence à parler. Marie aide toujours Massimo à faire ses devoirs et à étudier ses leçons. Elle l'appelle "mon petit loup", lui offre des chocolats et des livres mais est exigeante. Une phrase revient si souvent : "Tu peux faire mieux mon petit loup." Au fil des mois, les choses s'arrangent, les bulletins deviennent meilleurs. Son père parle maintenant d'acheter une maison.
Pour leur premier retour en Italie, les valises sont bourrées de cadeaux, des pantoufles garnies de pompons bleus et un chapeau à aigrettes pour Nonna, des chocolats pour les cousins. La veille du départ, Massimo prend soin d’emporter avec lui un peu de terre du jardin. Son père le regarde faire et en sortant de sa poche la même petite boîte bleue que celle de Nonna, il dit seulement : "Toi aussi…" Il a des larmes dans les yeux.
Maintenant, il y a un peu de terre d'ici, là-bas et un peu de terre de là-bas, ici.
Les années passent. La petite boîte bleue semble à présent presque oubliée. Pourtant, quand sa Nonna meurt, Massimo cherche sa boîte et la tient longtemps dans les mains.
Pareille à un grigri, il la gardera sur lui le temps d'un examen, le temps que cicatrice son premier chagrin d'amour et même le jour de son mariage !
La petite boîte remplie de terre de là-bas, c'est le signe de son attachement à l’Italie, c'est le souvenir d'une enfance merveilleuse avec une grand-mère extraordinaire.
"Mais oui, mon trésor…" Massimo est partagé. D'un côté, il est heureux de revoir bientôt son père qui, depuis des mois, est parti travailler loin du village, dans un pays du nord. Mais d'un autre côté, il est tellement triste d'être séparé de sa grand-mère. Cela lui est si dur de se dire qu'il ne la verra plus, qu'elle ne le consolera plus de ses petits malheurs, qu'elle ne rira plus avec lui. A qui se confiera-t-il encore ? Sa mère ne semble remarquer que les bêtises qu'il peut commettre…"Tiens-toi droit", "écris plus petit", "mouche-toi". Sa mère n'est vraiment tendre que lorsqu'il est malade. Elle passe alors la main sur son front, le frictionne avec de l'eau de Cologne, le cajole en murmurant des mots gentils. "Ça va ma puce ?", "Tu veux quelque chose de spécial ? »
Nonna se penche vers lui : "Et n'oublie pas ce que je t'ai donné… La petite boîte."
"Oui Nonna…"
"Maintenant va, ta mère doit t'attendre."
Massimo rejoint sa mère dans la petite maison voisine. Elle est occupée à remplir une valise avec des robes, des tabliers, des pyjamas, des chemises de nuit, des culottes, des pulls… "Prépare ce que tu veux emporter, Massimo."
Massimo va dans le jardin. Aujourd'hui, le ciel est gris comme le sont ses pensées. Massimo sort la petite boîte bleue de sa poche et de ses mains nues fait ce que sa grand-mère lui a dit, il remplit la boîte de terre. La terre lui apparaît chaude, douce, maternelle. C'est la première fois de sa vie qu'il connaît ce contact. Massimo regarde longuement la terre avant de placer le couvercle et de fourrer cette petite chose bleue, ultime présent de sa grand-mère, en poche.
"Massimo, Massimo…"
"Oui Maman…"
"Seigneur, où t'es-tu encore sali ainsi !"
Massimo ne répond pas. Il va dans sa chambre, y prend le petit personnage de bois et la balle à peine plus grosse qu'un citron que lui a offerts sa grand-mère, quelques livres et va porter le tout à sa mère.
En fermant la grosse valise, sa mère chante, elle ne pense sans doute qu'à son père et à la jolie maison qu'il a louée là-bas. Son père a écrit : "Marie, la vieille propriétaire, est très gentille, elle m'a aidé à aménager. Elle est si heureuse de louer une partie de son habitation à un jeune couple avec enfant. Il y a un magasin et une école près de chez nous, un jardin derrière. J'ai eu de la chance."
Massimo part. Durant le voyage en train, pour se réconforter, il lui arrive de mettre la main en poche et d'effleurer la boîte. Quand ses doigts rencontrent le métal, il se sent moins seul, plus fort, moins inquiet à l'idée d'affronter l'inconnu. Enfin, il retrouve son père. Il voit la jolie maison, pas si jolie que ça, Marie, la propriétaire, plus ridée qu'il ne l'imaginait. Il voit l'école, l'épicerie. Mais Marie même si elle lui sourit et dit quelques mots en italien, n'a pas l'odeur de savonnette de sa grand-mère. Le ciel est bas, les enfants du quartier ne parlent pas sa langue. Marie, c'est une institutrice retraitée, elle l'embrasse trop fort, le réprimande parfois comme sa mère le fait et elle s'efforce de lui apprendre le français en lui lisant des livres de filles. Marie, elle ne connaît rien au football ni aux jeux de garçon !
Sa mère passe beaucoup de temps à confectionner des vêtements sur une machine à coudre prêtée par Marie. Sa mère semble contente. Elle gagne de l'argent et essaye de lire la bible en français pour tester ses progrès. Elle attend un bébé.
À l'école, il y a des enfants qui le traitent parfois de "macaroni" et il ne sait quoi répondre. Il n'est pas aussi fort que Gino qui a frappé un gamin qui l'avait appelé ainsi ni aussi mignon que Rosa qui trouve toujours une autre fille pour la consoler.
Parfois, Massimo a le cœur gros mais il n'en dit rien. Seule, sa petite boîte bleue lui apporte un peu de baume quand il a la nostalgie du pays. Il lui arrive alors de l'ouvrir et d'embrasser la terre comme s'il embrassait sa Nonna.
Pour Noël, Massimo envoie à sa grand-mère une enveloppe qui contient dans une feuille pliée en trois, un peu de terre de Belgique et des pâquerettes séchées. Sa grand-mère lui répond. Elle a simplement calligraphié : "Tu m'as écrit de là où la terre fait souffrir mais rend riches les hommes qui la travaillent. Moi, je t'écris d'ici où la terre pleure de n'avoir pu nourrir ses enfants. Un jour tu comprendras, mon trésor." Il n'a pas vraiment saisi tout le sens du message mais il a épinglé la lettre sur le mur de sa chambre.
Le temps passe. Nonna écrit de moins en moins souvent, son écriture est moins lisible. Le bébé est bien là, bientôt, il marche et commence à parler. Marie aide toujours Massimo à faire ses devoirs et à étudier ses leçons. Elle l'appelle "mon petit loup", lui offre des chocolats et des livres mais est exigeante. Une phrase revient si souvent : "Tu peux faire mieux mon petit loup." Au fil des mois, les choses s'arrangent, les bulletins deviennent meilleurs. Son père parle maintenant d'acheter une maison.
Pour leur premier retour en Italie, les valises sont bourrées de cadeaux, des pantoufles garnies de pompons bleus et un chapeau à aigrettes pour Nonna, des chocolats pour les cousins. La veille du départ, Massimo prend soin d’emporter avec lui un peu de terre du jardin. Son père le regarde faire et en sortant de sa poche la même petite boîte bleue que celle de Nonna, il dit seulement : "Toi aussi…" Il a des larmes dans les yeux.
Maintenant, il y a un peu de terre d'ici, là-bas et un peu de terre de là-bas, ici.
Les années passent. La petite boîte bleue semble à présent presque oubliée. Pourtant, quand sa Nonna meurt, Massimo cherche sa boîte et la tient longtemps dans les mains.
Pareille à un grigri, il la gardera sur lui le temps d'un examen, le temps que cicatrice son premier chagrin d'amour et même le jour de son mariage !
La petite boîte remplie de terre de là-bas, c'est le signe de son attachement à l’Italie, c'est le souvenir d'une enfance merveilleuse avec une grand-mère extraordinaire.
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