dimanche 31 octobre 2010

UN CHAT POUR LA TOUSSAINT


Toutes les semaines, Rita va sur la tombe de son mari, elle y dépose un bouquet de fleurs cueillies au jardin. Sans craindre le ridicule, elle s'adresse à voix haute au défunt en lui demandant de faire quelque chose pour atténuer son chagrin. "Oh Léon, si tu me vois, de là où tu es, si c'est possible, fais quelque chose pour moi." Eh oui, après cinquante ans de vie commune, la séparation est difficile, le deuil est malaisé à faire ! Bien entendu, au cimetière ou chez elle quand elle parle face à la dernière photo prise de lui, son mari ne lui répond jamais. Cela n'empêche pas Rita de persévérer…

À quelques jours de la Toussaint, elle se rend au cimetière, munie d'une peau de chamois, d'un petit seau et d'un produit nettoyant. Avant de commencer son travail, elle adresse une première supplique à son Léon. Ensuite elle reste de longues minutes, à genoux, s'applique à nettoyer la dalle du mieux qu'elle peut. Quand elle satisfaite de son travail, elle va jeter l'eau sale dans le caniveau non loin de là et rincer la peau. Lorsqu'elle regagne la tombe de son époux, un chat y a pris place. Un beau chat tigré qui ne bronche pas en la regardant ranger son matériel dans le petit seau puis supplier comme à son habitude son cher défunt.

Rita rentre chez elle. En ouvrant la porte de sa maison, elle s'aperçoit que le chat l'a suivie. Sans y être invité, l'animal la précède dans le hall. Le chat est agile, combien plus agile qu'elle ! Avant qu'elle n'ait atteint le séjour, il a déjà pris place dans le fauteuil situé près du feu ouvert.

Rita le caresse en tentant de le persuader de quitter le siège : "Je devine que tu es bien là mais il faut rentrer chez toi. Tes maîtres vont s'inquiéter. Suis-moi puis va les retrouver…" Rita se dirige à pas mesurés vers la porte du hall, l'ouvre mais le chat n'en fait qu'à sa tête. Il est là, il reste là même si elle revient souvent vers lui pour essayer de le persuader de regagner ses pénates. Après avoir utilisé un ton agréable, Rita est devenue plus ferme : "Il se fait tard il faut partir, mon cher !" Rien n'y a fait ! Alors n'écoutant que son cœur, elle lui sert un bol de lait et une assiette contenant un reste de poisson cuit au court bouillon. Lorsque la nuit tombe, elle lui aménage un coin bien à lui dans la cuisine. Rita a posé un vieux coussin bleu dans un grand plateau à fruits en osier et à quelques centimètres de cette couche, un bol d'eau.

Le lendemain matin, elle se rend à l'épicerie, y achète une boîte contenant une préparation au thon et y affiche une annonce pour rechercher le propriétaire du chat.

Les jours passent, Rita achète d'autres boîtes d'aliments pour chat mais ne reçoit aucun coup de fil pour réclamer l'animal.

Sur la tombe de son mari, où elle dépose les dernières roses de son jardin, elle conte toute l'histoire. Quand elle a fini de parler, il lui semble entendre une voix qui lui souffle : "Garde le chat. C'est ton mari qui te l'a envoyé." Rita jette un coup d'œil autour d'elle. Personne sauf le fossoyeur occupé à l'autre bout du cimetière et une silhouette qui a presque atteint la grille d'entrée.

Rita dépose encore une annonce chez le boucher, chez le boulanger, chez le libraire et chez le coiffeur. La sonnerie du téléphone ne se fait entendre que pour déboucher sur une conversation avec sa fille, son amie ou son frère. Toujours pas d'appel concernant le chat ! Alors, plutôt que de placer ailleurs des annonces, Rita décide de garder le chat. Peu à peu elle arrive même à se convaincre que, comme l'a dit la voix, c'est son mari qui le lui a sans doute envoyé. Léon lui a enfin répondu à l'occasion de la Toussaint !

3 commentaires:

carine-Laure Desguin a dit…

Histoire insolite ...Mais moi je crois à ces petits signes ...

Micheline a dit…

Carine-Laure, je crois comme toi que de nombreux petits signes jalonnent notre vie !

Un petit Belge a dit…

Très beau texte. J'ai parlé brièvement de toi aujourd'hui sur mon blog. Passe une bonne semaine.